Preuve obtenue de manière déloyale admise en droit civil

Le juge civil peut dorénavant tenir comptes de preuves obtenues de façon illicite, s'alignat ainsi sur la jurisprudence européenne

Preuve obtenue de manière déloyale admise en droit civil

Le juge civil peut dorénavant tenir comptes de preuves obtenues de façon illicite, s'alignat ainsi sur la jurisprudence européenne

Décembre 2023 : deux décisions de l'Assemblée plénière de la cour de cassation chambre civile admettent la production d'une preuve obtenue de manière déloyale s'alignant ainsi sur le droit européen

 

Première décision extraits

COUR DE CASSATION FB > ASSEMBLÉE PLÉNIÈRE > Pourvoi n° H 20-20.648 > 22 DÉCEMBRE 2023

 

La société Abaque bâtiment services, société à responsabilité limitée, dont le siège est [Adresse 1], a

formé le pourvoi n° H 20-20.648 contre l'arrêt rendu le 28 juillet 2020 par la cour d'appel d'Orléans (chambre sociale A - section 2), dans le litige l'opposant :

 

1°/ à M. [Y] [B], domicilié [Adresse 2],

2°/ à Pôle emploi [Localité 3], dont le siège est [Adresse 4],

défendeurs à la cassation.

 

Par arrêt du 1er février 2023, la chambre sociale de la Cour de cassation a ordonné le renvoi de l'examen du pourvoi devant l'assemblée plénière.

la Cour de cassation, siégeant en assemblée plénière, composée du premier président, des

présidents, des doyens de chambre et des conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.

 

Faits et procédure

 

  1. ........

 

  1. La société ABS fait grief à l'arrêt de déclarer irrecevables les éléments de preuve obtenus par elle au moyen d'enregistrements clandestins et d'écarter en conséquence ses pièces numérotées 7.3, 7.3b, 7.5 et 7.5b, de dire le licenciement sans cause réelle et sérieuse....., alors « que l'enregistrement audio, même obtenu à l'insu d'un salarié, est recevable et peut être produit et utilisé en justice dès lors qu'il ne porte pas atteinte aux droits du salarié, qu'il est indispensable au droit à la preuve et à la protection des intérêts de l'employeur et qu'il a pu être discuté dans le cadre d'un procès équitable ; ....... que le salarié avait expressément refusé de fournir à son employeur le suivi de son activité commerciale, ce au motif erroné et insuffisant qu'elles ont été obtenues par un procédé déloyal et à l'insu du salarié, la cour d'appel a violé les articles 9 du code de procédure civile et 6, § 1, de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. »

 

Réponse de la Cour

 

Vu l'article 6, § 1, de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et l'article 9 du code de procédure civile : ..........

 

  1. Suivant les principes dégagés par la Cour européenne des droits de l'homme (v. notamment CEDH, arrêt du 10 octobre 2006, L.L. c. France, n° 7508/02), la Cour de cassation a consacré, en matière civile, un droit à la preuve qui permet de déclarer recevable une preuve illicite lorsque cette preuve est indispensable au succès de la prétention de celui qui s'en prévaut et que l'atteinte portée aux droits antinomiques en présence est strictement proportionnée au but poursuivi......

 

  1. En matière pénale, la Cour de cassation considère qu'aucune disposition légale ne permet au juge répressif d'écarter les moyens de preuve produits par des particuliers au seul motif qu'ils auraient été obtenus de façon illicite ou déloyale, le principe de loyauté de la preuve s'imposant, en revanche, aux agents de l'autorité publique.

 

  1. Aussi, il y a lieu de considérer désormais que, dans un procès civil, l'illicéité ou la déloyauté dans l'obtention ou la production d'un moyen de preuve ne conduit pas nécessairement à l'écarter des débats. Le juge doit, lorsque cela lui est demandé, apprécier si une telle preuve porte une atteinte au caractère équitable de la procédure dans son ensemble, en mettant en balance le droit à la preuve et les droits antinomiques en présence, le droit à la preuve pouvant justifier la production d'éléments portant atteinte à d'autres droits à condition que cette production soit indispensable à son exercice et que l'atteinte soit strictement proportionnée au but poursuivi.

 

  1. En l'espèce, pour déclarer irrecevables les pièces litigieuses, après avoir relevé que celles-ci constituent des transcriptions d'enregistrements clandestins des entretiens des 28 septembre et 7 octobre 2016, l'arrêt retient qu'ayant été obtenues par un procédé déloyal, elles doivent être écartées des débats.

 

  1. Pour rejeter la demande en paiement d'heures supplémentaires et congés payés afférents, l'arrêt retient que le salarié produit seulement des relevés d'heures établis par ordinateur, qui ne sont corroborés par aucun autre élément. Il en déduit que les éléments produits par celui-ci ne sont pas de nature à étayer ses prétentions.

 

  1. En statuant ainsi, alors qu'il résultait de ces constatations que le salarié présentait des éléments suffisamment précis pour permettre à l'employeur de répondre, la cour d'appel, qui a fait peser la charge de la preuve sur le seul salarié, a violé le texte susvisé.

 

  1. En application de l'article 624 du code de procédure civile, la cassation des dispositions de l'arrêt déclarant irrecevables les éléments de preuve obtenus par l'employeur au moyen d'enregistrements clandestins et écartant en conséquence les pièces litigieuses produites par celui-ci, entraîne la cassation des chefs de dispositif disant le licenciement sans cause réelle et sérieuse, condamnant la société ABS au paiement de diverses sommes, et ordonnant le remboursement à Pôle emploi des indemnités de chômage ainsi que la remise au salarié, sous astreinte, d'un certificat de travail et d'une attestation destinée à Pôle emploi.

 

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs, la Cour :

CASSE ET ANNULE....

 

 

Deuxième décision, extraits

 

COUR DE CASSATION CH9 > ASSEMBLÉE PLÉNIÈRE > Audience publique du 22 décembre 2023 > Pourvoi n° Z 21-11.330

La société Rexel développement, société par actions simplifiée, dont le siège est [Adresse 1], a formé le pourvoi n° Z 21-11.330 contre l'arrêt rendu le 17 novembre 2020 par la cour d'appel de Paris (pôle 6, chambre 11), dans le litige l'opposant à M. [F] [B], domicilié [Adresse 2], défendeur à la cassation.


Faits et procédure

  1. Selon l'arrêt attaqué (Paris, 17 novembre 2020), alors que M. [B], salarié de la société Rexel développement, était en congé, son remplaçant a utilisé son poste informatique. S'étant connecté au compte Facebook de M. [B], qui n'avait pas été fermé, il a ouvert la messagerie attachée à ce compte, lu une conversation entre M. [B] et une autre salariée de l'entreprise et a transmis cet échange à l'employeur.

    2. Licencié le 9 décembre 2015, pour faute grave, en raison des propos insultants tenus, lors de cet échange électronique, à l'encontre de son supérieur hiérarchique et de son remplaçant, M. [B] a saisi la juridiction prud'homale pour contester cette rupture......


    « 1°/ que la preuve obtenue par l'employeur sans utilisation d'un procédé clandestin, d'un stratagème et sans fraude ne méconnaît pas le principe de loyauté dans l'administration de la preuve ; que, pour établir la faute du salarié licencié, l'employeur est ainsi recevable à produire la conversation privée tenue par celui-ci, dont un autre salarié a eu connaissance en travaillant sur l'ordinateur professionnel du premier, qui, par négligence, avait laissé ouvert son compte Facebook sur cet ordinateur ; que la cour d'appel, qui a constaté qu'« il n'est pas établi que l'employeur a usé d'un quelconque stratagème » dans l'obtention de cette conversation et a néanmoins jugé que l'employeur a obtenu la preuve des propos du salarié de manière déloyale et illicite, en violation du secret des correspondances, n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations en violation de l'article 9 du code de procédure civile, ensemble les articles L. 1232-1, L. 1234-1, L. 1234-5 et L. 1234-9 du code du travail ;

Réponse de la Cour

  1. La Cour de cassation juge qu'un motif tiré de la vie personnelle du salarié ne peut justifier, en principe, un licenciement disciplinaire, sauf s'il constitue un manquement de l'intéressé à une obligation découlant de son contrat de travail (Soc. 3 mai 2011, n° 09-67.464, Bull. 2011, V, n° 105 ; Soc. 30 septembre 2020, n° 19-12.058, publié ; Soc. 4 octobre 2023, n° 21-25.421, publié).

    7. Le moyen, pris d'une méconnaissance du droit à la preuve de l'employeur, est, dès lors, inopérant.

    8. Par ce motif de pur droit, substitué à ceux justement critiqués, dans les conditions prévues par les articles 620, alinéa 1er, et 1015 du code de procédure civile, la décision se trouve légalement justifiée.

PAR CES MOTIFS, la Cour : REJETTE le pourvoi.....

 

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